- Chapitre 1
Le premier chapitre de la Bhagavad-Gîtâ est un prélude. Alors que se déroule l’intrigue du Mahâbhârata, les armées antagonistes (respectivement conduites par les Pândavas et les Kauravas) étaient prêtes à passer à l’offensive. Après que dans chaque camp ait retenti le mugissement assourdissant des conques, signalant ainsi le début des hostilités, Arjuna prie Krishna – lequel a accepté de conduire son chariot – de mener celui-ci entre les deux armées. Arjuna, horrifié, voit alors ses pères, aïeux, précepteurs, oncles, frères, fils et amis dispersés dans les deux camps, prêts à livrer bataille. Accablé de chagrin en les voyant tous devant lui en lignes belliqueuses, Arjuna est saisi de compassion et décide de ne pas combattre.
- Chapitre 10
Dès le septième chapitre, Krishna définissait Ses différentes énergies (matérielles et spirituelles). Dans ce dixième chapitre, Il explique à Arjuna Ses gloires spécifiques, manifestées à travers Ses énergies omniprésentes.
Krishna affirme avant tout que les sages, sachant qu’Il est le Seigneur Suprême et l’origine de tout, sont libres de toutes les suites du péché; ils Le servent avec une dévotion pure, désintéressée (2-8). Puis sont décrits les traits sublimes de tels purs dévots / dévotes (9). Krishna dissipe l’ignorance de Ses serviteurs et les guide jusqu’à Lui (10-11). Traditionnellement appelés catuh-slokî [littéralement, les quatre versets], les versets 8-11 incarnent, dit-on, l’essence de la Gîtâ. Qui reconnaît en Krishna le Seigneur Souverain, et s’en remet à Lui dans un sentiment de pure dévotion, est directement éclairé par Lui et se verra révéler la voie pour L’atteindre.
Arjuna déclare avec emphase qu’il accepte Krishna comme la Vérité Absolue, qu’il admet tout ce qu’Il lui a dit jusqu’ici (12-15). Il prie ensuite Krishna de lui décrire en détail Ses gloires divines « par quoi Tu pénètres tous ces mondes et en eux demeures. » (16-18) Krishna décrit alors Ses principales gloires et ce, jusqu’à la conclusion de ce chapitre : d’entre les sources de lumière, Il est le soleil; parmi les eaux, l’océan; parmi les masses inébranlables, l’Himalaya. Il est du sage la sagesse, la force du fort, l’éclat de tout ce qui resplendit. Tout ce qui est beau, puissant, glorieux, dans les mondes matériels ou spirituels, éclôt d’un simple fragment de Sa splendeur et de Ses divines puissances. Étant ainsi la cause de toutes les causes, Krishna incarne l’objet suprême d’adoration de tous les êtres vivants (19-41).
Au dernier verset de ce chapitre, Krishna dit qu’il est encore plus important de comprendre que tout existe grâce à Sa présence en tant qu’Âme Suprême (Paramâtmâ), qui pénètre et soutient l’Univers entier (42).
- Chapitre 14
Tel qu’expliqué au chapitre treize, le jîva s’est enlisé dans la matière dû à son contact avec les trois gunas. Dans ce quatorzième chapitre, Krishna explique en quoi ceux-ci consistent, comment ils opèrent et nous enchaînent, et comment se libérer de leur influence.
Au début du chapitre, Krishna déclare à Arjuna qu’Il lui dévoilera à nouveau « cette sagesse suprême, le plus haut des savoirs », dont la compréhension permet d’atteindre à « la nature spirituelle et absolue » et de se défaire des morts et renaissances répétées (1-2). Krishna explique d’abord que tous les êtres naissent en ce monde lorsqu’Il les injecte dans la nature matérielle. Aussi est-Il « le père qui donne la semence » de toutes les espèces de vie au sein de l’Univers matériel (3-4). La nature matérielle est formée des trois gunas: Vertu (sattva), Passion (rajas) et Ignorance (tamas). Ces trois modes d’influence conditionnent l’être vivant qui prend naissance en ce monde de matière (5). Krishna définit et explique les caractéristiques et symptômes des trois modes, et comment ils conditionnent et enchaînent le jîva, en plus de décrire les différents sorts qui, selon la nature de son conditionnement, le guettent après sa mort (6-18). On peut transcender l’influence des gunas et atteindre Krishna en saisissant comment ils opèrent et en voyant que Krishna les transcende (19). En transcendant les gunas, on peut s’affranchir des affres de la naissance, de la vieillesse et de la mort et « jouir d’ambroisie en cette vie même » (20). Arjuna pose ensuite trois questions au Seigneur : « À quels signes se reconnaît l’être qui a dépassé les trois gunas ? Comment se comporte-t-il ? Et par quelles voies transcende-t-il ces gunas ? » (21). Krishna répond aux deux premières questions aux versets 22-25. En voici l’essence : ayant réalisé sa véritable identité spirituelle au-delà de la matière, la personne qui a transcendé les trois gunas n’est pas affectée et ne se soucie guère des actions et réactions propres à l’Univers matériel. Libre de toute dualité matérielle, dont le plaisir et la souffrance, l’éloge et le blâme, elle renonce à toute entreprise intéressée. En réponse à la troisième question, Krishna dit que c’est grâce à la pratique du bhakti-yoga qu’on transcende les gunas et atteint le niveau du Brahman, niveau spirituel préliminaire qui se caractérise par l’absence de toute souillure matérielle (26). Au dernier verset du chapitre, Krishna dit être le fondement – ou la source – du Brahman (27). En accédant à ce niveau, on se qualifie pour servir avec dévotion le Brahman Suprême, Parabrahman (Krishna).
- Chapitre 16
Dans ce chapitre, Krishna décrit et compare deux sortes de qualités et ceux qui les possèdent. Les qualités divines, riches en Vertu, favorisent l’évolution spirituelle; les qualités démoniaques, saturées de Passion et d'Ignorance, s’avèrent néfastes au progrès spirituel, mènent à une naissance inférieure et asservissent l’âme. Les êtres dotés d’attributs divins mènent une vie réglée, en accord avec les Écritures, et accèdent à la perfection. Mais les êtres aux attributs démoniaques agissent selon leur caprice (sans se référer aux Écritures) et demeurent prisonniers de la nature matérielle.
De prime abord, Krishna énumère les vingt-trois attributs spirituels « nés de la nature divine » (1-3). Ces attributs, nous l’avons déjà dit, sont propices au progrès vers la libération hors de l’Univers matériel. Krishna donne ensuite à Arjuna un résumé des qualités démoniaques (arrogance, orgueil, colère, suffisance, âpreté, ignorance). Krishna affirme que les qualités divines servent la libération, les attributs diaboliques poussent à l’asservissement. Il assure Arjuna qu’il n’a rien à craindre, car né « avec les qualités divines ». Ainsi Krishna l’encourage-t-Il en indiquant que son rôle dans le conflit n’est pas démoniaque, puisqu’il n’agit pas par colère, par orgueil ou âpreté. Selon les injonctions scripturaires régissant la classe sociale dont il est membre, combattre pour des valeurs religieuses est une activité pieuse, mais manquer à ce devoir serait faire preuve d’irréligion (4-5).
Krishna fait alors une description assez crue des démoniaques. En essence, il s’agit d’athées et de matérialistes qui violent les préceptes des Écritures réglant la conduite humaine, aux niveaux social et spirituel. Ces êtres voient le monde sans but ni fondement et sont donc enclins à des actes aussi capricieux que destructeurs. Pour eux, le but ultime de la vie serait de satisfaire nos sens. Fascinés par l’éphémère, le matériel, enchaînés par de multiples désirs, ils entassent des richesses coûte que coûte. Suffisants, concupiscents et arrogants, leur angoisse ne connaît pas de fin (6-18). De telles personnes, renaissant au sein des espèces inférieures, « sombrent dans la condition la plus sinistre », et ne peuvent jamais approcher Krishna (19-20). Tout être sain d’esprit, nous prévient Krishna, doit renoncer à la concupiscence, à la colère et à l’avidité, « trois portes qui ouvrent sur l’enfer ». En évitant celles-ci, on peut s’élever à la réalisation spirituelle et « le but suprême » (21-22).
Krishna conclut en disant que quiconque vit selon son caprice, sans suivre les préceptes des Écritures (conçus pour nous élever vers la réalisation du soi), n’atteint ni la perfection ni le bonheur; par contre, qui comprend les préceptes védiques et mène sa vie en conséquence s’élève graduellement (jusqu’à la perfection spirituelle) (23-24).
- Chapitre 17
Au quatorzième chapitre, Krishna expliquait à Arjuna que le service de dévotion (bhakti-yoga) permet de transcender les trois modes d’influence de la nature matérielle. Et Il concluait le chapitre quinze en déclarant que Sa divinité suprême et Son adoration représentent l’essence secrète du savoir védique. Puis, au seizième chapitre, Krishna insistait que pour s’élever spirituellement, il faut adhérer aux préceptes des Écritures.
Maintenant, au début du présent chapitre, Arjuna s’enquiert de la position de quiconque se voue à un culte de son invention, et qui ne suit pas les principes des Écritures. Une telle foi baigne-t-elle dans la Vertu, la Passion ou l’Ignorance? (1) Krishna répond que la foi peut appartenir à trois ordres, qui correspondent aux trois gunas dont ils procèdent d’ailleurs (2-6). Il décrit ensuite les caractéristiques de quatre items : la nourriture, le sacrifice (yajña), l’austérité (tapasya) et la charité (dana) – selon chacun des trois gunas. Les sacrifices, pénitences et austérités sous le signe des modes inférieurs (Passion et Ignorance) visent des gains matériels, aussi égoïstes que temporaires, comme la richesse, le pouvoir et le prestige. Les mêmes activités accomplies sous le signe de la Vertu, toutefois, sont conformes au devoir et aux principes des Écritures; désintéressées, elles ont pour but la purification et l’élévation (7-22). Aux derniers versets du chapitre, Krishna explique, en essence, que les sacrifices, les austérités et la charité ne doivent être accomplis que pour Sa satisfaction. Se référant à la tradition sacrificielle védique, où le mantra Om tat sat (désignant la Vérité Suprême et Absolue) est prononcé par les brahmanes pour la satisfaction du Suprême, Krishna explique que les sacrifices, les austérités et la charité accomplis pour Lui plaire favorisent l’émancipation spirituelle. Mais accomplis sans foi en le Suprême et hors des préceptes scripturaires (sous le signe de la Passion et de l’Ignorance), ils ne donnent que des fruits matériels, éphémères; aussi les dit-on vains. Par contre, l’adoration – ou la foi – sous le signe de la Vertu, fondée sur les Écritures et dictées par le devoir, purifie le cœur de son auteur et mène à la pure dévotion pour Krishna. Cette foi qui transcende les modes d’influence de la nature est qualifiée de nirguna (23-28).
- Chapitre 18
Le dix-huitième chapitre de la Gîtâ résume et conclut simultanément l’enseignement de Krishna. Puisque la Gîtâ insiste sur le renoncement à l’action matérielle (et l’engagement dans l’élévation spirituelle), Arjuna prie Krishna d’expliquer le but du renoncement (tyaga) et de l’ordre du renoncement (sannyasa) (1). En guise de réponse, Krishna répète que le renoncement n’implique pas l’abandon de toute action – chose impossible pour l’âme incarnée – mais bien celui de l’action intéressée pour exécuter son devoir prescrit sans attachement au résultat. Pour ceux qui n’ont pas pratiqué le renoncement, les fruits de l’action (désirable, indésirable et mixte) les guettent après la mort. Mais le renonçant n’aura ni à jouir ni à souffrir de tels fruits. Il est donc affranchi des chaînes du karma (2-12).
Krishna explique ensuite comment agir sans engendrer de conséquences matérielles. Il cite la philosophie du sankhya, qui décrit les cinq facteurs contribuant à l’accomplissement de toute action : le lieu, l’auteur, les sens, l’effort et l’Âme Suprême. Qui se croit seul agissant (sans considérer les autres facteurs, et surtout l’Âme Suprême, la cause finale) baigne dans l’ignorance (et les fruits de ses actes l’enchaînent). Mais quand on agit selon les directives de l’Âme Suprême, sans être motivé par quelque désir personnel, nos actes n’entraînent aucune réaction matérielle. Krishna indique ainsi à Arjuna qu’en agissant selon Ses instructions, ce ne sera pas vraiment lui qui tuera; il n’aura donc pas à subir les conséquences d’un tel acte accompli au cours de la guerre (13-18).
Les trois gunas prédominent dans différents aspects de la psychologie et de l’activité humaine. Le savoir, l’action, les agissants, l’intelligence, la détermination et le bonheur sont de trois ordres, correspondant aux trois gunas. Krishna en donne une analyse systématique (19-40).
Selon les gunas qui nous influencent, on se conformera à une des quatre divisions de la société humaine liée à notre occupation professionnelle : brahmanes (prêtres et enseignants), kshatriyas (soldats et dirigeants), vaishyas (fermiers, commerçants, etc.), et soudras (ouvriers). Énumérant les qualités et les devoirs respectifs de chacune de ces divisions sociales (varnas), Krishna explique qu’en adhérant aux devoirs prescrits par son état ainsi qu’en offrant les fruits de son labeur au Seigneur, on peut atteindre la perfection. En œuvrant selon son devoir social (déterminé par les gunas), l’âme conditionnée peut éventuellement transcender ces influences. Mieux vaut donc pour Arjuna d’agir selon les principes du kshatriya et combattre pour la satisfaction de Krishna (41-48).
- Chapitre 2
L’enseignement philosophique de la Bhagavad-Gîtâ commence dans ce deuxième chapitre. Perplexe, Arjuna s'en remet à Krishna : « La défaillance m’a fait perdre tout mon sang-froid; je ne vois plus où est mon devoir. Indique-moi clairement la voie juste. Je suis à présent Ton disciple et m’en remets à Toi; éclaire-moi, je T’en prie. » (Gîtâ 2:7)
Krishna aborde d’abord la philosophie Sânkhya – l’étude analytique de la matière et de l’esprit (versets 11-30). Afin de calmer Arjuna, horrifié à l’idée de tuer ses proches, Krishna met en contraste la nature éternelle de l’âme (le vrai soi) avec la nature temporaire du corps matériel (enveloppe extérieure de l’âme). L’âme (âtmâ) est éternelle; elle continue d’exister même après la mort du corps : « L’âme ne connaît ni la naissance ni la mort. Vivante, elle ne cessera jamais d’être. Non née, immortelle, originelle, éternelle, elle n’eut jamais de commencement et jamais n’aura de fin. Elle ne meurt pas avec le corps. » (20)
À la mort, l’âme transmigre dans un nouveau corps : « À l’instant de la mort, l’âme revêt un nouveau corps, l’ancien devenu inutile, de même qu’on se défait de vêtements usés pour en revêtir de neufs. » (22) Le sage est celui – ou celle – qui, sachant que le vrai soi, c’est l’âme éternelle, n’est jamais troublé par ce changement de corps (« la mort ») et n’est guère concerné par les joies et peines du corps de matière. Une telle personne est digne de la libération. Le vrai soi étant éternel et jamais sujet à la mort, Arjuna ne devrait pas s’affliger d’avoir à tuer le corps temporaire dans l’exécution de son devoir de kshatriya (soldat), qui consiste à prendre part à la bataille imminente : « Tu connais tes devoirs de kshatriya : ils t’enjoignent de combattre selon les principes de la religion; tu ne peux donc hésiter. » (31)
Krishna explique ensuite « l’art d’agir », le karma-yoga. En agissant par devoir envers le Suprême (sans aspirer aux fruits de l’action), on s’affranchit des chaînes de la matière (39-53). Arjuna demande alors à Krishna d’énumérer les traits de l’âme réalisée, qui baigne dans la Transcendance (sthita-prajña) (54). Ce qu’Il fait dans les versets suivants : pleinement consciente du Suprême et de son indentité spirituelle, une telle personne n’éprouve aucun intérêt pour la jouissance matérielle. Ainsi maîtrise-t-elle ses organes des sens extérieurs et, le mental et l’intelligence établis dans l’Absolu, transcende joies et peines, pertes et gains. Quittant son corps, elle atteint le monde spirituel. (55-72)
- Chapitre 4
Dans le chapitre précédent, le karma-yoga (l’action désintéressée) et le yajña (le sacrifice) furent recommandés pour l’élévation spirituelle. Maintenant, au quatrième chapitre, Krishna explique que le jñâna-yoga – l’élévation à la conscience de Dieu par la culture du savoir spirituel – est supérieur, car le karma-yoga et le yajña culminent dans un tel savoir. La science spirituelle – la connaissance de Dieu, du jîva (l’âme distincte) et leur relation éternelle – est élaborée dans ce chapitre de la Gîtâ. Krishna trace d’abord l’histoire de la transmission orale de la Gîtâ (dont Il est la source) à travers la succession disciplique (paramparâ). Mais la succession s’étant rompue au fil du temps, Krishna énonce à nouveau la Gîtâ à Arjuna qui, en tant que dévot du Seigneur, est qualifié pour « en percer le mystère sublime. » (1-3) Dans les versets suivants, Krishna explique la nature transcendantale du Suprême et pourquoi Il descend régulièrement en l’Univers matériel (pour rétablir le dharma, les principes de la spiritualité) (4-8). Qui comprend la nature absolue de Son avènement et de Ses actes atteint la libération. (9) Quiconque cherche refuge en Lui est purifié par ce savoir et développe son amour pour Lui. (10) Krishna échange avec les jîvas selon le degré de leur abandon à Lui (11).
Aux versets 14 à 24, Krishna à nouveau explique toute la complexité de l’action et comment, établi dans la sagesse spirituelle, on s’affranchit des suites karmiques. L’être éclairé, pleinement conscient que l’âme est de nature spirituelle et soumise au Seigneur Suprême, renonce aux actions égoïstes pour n’agir que pour Lui. Abandonnant tout sentiment de propriété sur ses biens et n’œuvrant que pour les éléments nécessaires à sa survie, il n’est pas touché par les suites de l’action.
Krishna décrit diverses formes de sacrifices préconisés par les Védas (25-32), affirmant qu’ils culminent tous dans le savoir spirituel et absolu (33). Puis, Il révèle la façon d’acquérir ce savoir (en approchant un guru réalisé) et explique en quoi consiste l’ultime savoir (tous les jîvas font partie intégrante de Krishna) (34-35). Le savoir spirituel détruit les suites du karma et apporte « la plus haute paix spirituelle. » (36-39) Mais ceux qui doutent de ce savoir sacré, cependant, ne peuvent ni devenir conscients de Dieu ni connaître de bonheur (40). En conclusion, Krishna exhorte Arjuna à détruire ses doutes à l’aide du savoir absolu : « Fort de l’arme du yoga, lève-toi et combats. » (41-42)
- Chapitre 5
Au troisième chapitre, Krishna expliquait que le savoir nous libère de la nécessité d’accomplir quelque devoir prescrit. Et au quatrième chapitre, Il informait Arjuna que toute forme de sacrifice culmine dans le savoir. À la fin de ce même chapitre, Krishna conseillait néanmoins à Arjuna de combattre. Arjuna, perplexe devant l’importance qu’Il accorde aux œuvres dévotionnelles et à l’inaction empreinte de savoir, prie Krishna de lui dire clairement quelle voie s’avère la meilleure (1). Il est confus, croyant que l’action et le renoncement sont incompatibles. Pour dissiper sa confusion, Krishna explique, dans ce cinquième chapitre, que l’acte dévotieux tout empreint de savoir n’entraîne aucune réaction matérielle et ne diffère donc pas du renoncement à l’action. Mais plus haute est l’action dévotieuse (2).
Krishna décrit ensuite les traits de qui agit avec un tel détachement, Lui sacrifiant les fruits de l’acte (3-17). Purifié par le savoir absolu, un tel dévot réalise son identité spirituelle. Étant au-delà du corps, du mental et des sens, il ne s’identifie guère à leurs œuvres. Se livrant à l’action, mais abandonnant ses fruits au Suprême, le péché ne l’affecte pas, de même que l’eau ne mouille pas les feuilles du lotus. (10) Ainsi trouve-t-il la paix. L’être qui agit avec un tel détachement s’établit dans la transcendance, ou brahma-nirvâna. Un tel pandit, un tel sage baigne dans le parfait savoir du soi et du Suprême. Voyant tous les êtres d’un œil égal, il prend conscience de leur nature spirituelle au-delà du corps matériel. Agissant pour leur bien ultime, il se détache de la dualité des joies et peines. N’étant pas attiré par la jouissance matérielle, il goûte au bonheur intérieur, s’absorbant dans la pensée de l’Être Suprême (18-28).
Pour conclure, Krishna déclare que celui qui Le connaît comme le but ultime de tous les sacrifices et de toutes les austérités, le souverain de tous les mondes et le meilleur ami de tous – celui ou celle-là trouve la cessation des souffrances matérielles. (29)
- Chapitre 6
Au chapitre six, Krishna trace la voie du dhyâna-yoga (en termes plus techniques, l’astânga-yoga ou « l’octuple sentier »), une forme de méditation destinée à maîtriser les sens et le mental pour focaliser son attention sur l’Âme Suprême – Paramâtmâ – forme de Krishna sise dans le cœur. Ayant affirmé l’importance de la maîtrise mentale (5-6), Krishna décrit le yogi ou spiritualiste qui y parvient (7-9). Il résume ensuite la méthodologie et le but ultime de l’astânga-yoga. Les postures assises, les exercices de respiration et la maîtrise du mental comme des sens culminent dans le samâdhi, la conscience établie dans l’Âme Suprême (10-19). Le yoga-yukta qui a atteint la perfection du yoga possède un mental ferme, absorbé dans le Suprême. Libéré, le mental serein, ses passions apaisées, il vit « un bonheur spirituel infini », demeurant imperturbable, même au cœur des pires difficultés. Telle est la vraie libération de toutes les souffrances nées du contact avec la matière (20-32).
Arjuna considère toutefois la pratique du yoga trop difficile : « Car le mental, ô Krishna, est fuyant, fébrile, puissant et tenace; le subjuguer me semble plus ardu que maîtriser le vent. » (33-34) Krishna répond qu’il est certes malaisé de dompter le mental, mais « qu’on y parvient cependant par une pratique constante et par le détachement. » (35)
Arjuna s’enquiert ensuite du sort du yogi qui abandonne avant d’atteindre la perfection (37-39). Krishna de répondre qu’une telle personne, renaissant au sein d’une famille riche, vertueuse ou de sages, reprend sa pratique et, après plusieurs naissances, atteint enfin la perfection (40-45).
La conclusion de ce sixième chapitre – et de l’entière première partie de la Bhagavad-Gîtâ – est énoncée dans les deux derniers versets : « Le yogi est plus haut que l’ascète, le philosophe et ceux qui aspirent aux fruits de leurs actes. En toutes circonstances, sois donc un yogi, ô Arjuna. Et de tous les yogis, celui qui, avec une foi totale, demeure toujours en Moi et M’adore en Me servant avec amour, celui-là est le plus grand, et M’est le plus intimement lié. » (46-47) Le yoga (l’union avec le Suprême) serait ainsi supérieur à l’ascèse (tapasya), l’action intéressée (karma) et l’empirisme (jñâna). Et de toutes les formes de yoga (karma-yoga, jñâna-yoga, astânga-yoga, hatha-yoga, râja-yoga...), le bhakti-yoga (le service de dévotion à Krishna) est dit être le sommet, l’apogée.
- Chapitre 7
Les six premiers chapitres de la Gîtâ ont établi la différence entre l’âme (être vivant) et la matière. L’être (jîva) fut décrit comme une âme spirituelle, apte à s’élever de l’identification à la matière (ahankâra) à la réalisation spirituelle, grâce à diverses formes de yoga (sânkhya, karma, jñâna et astânga). Ceux-ci forment une évolution graduelle qui culmine (à la fin du chapitre six) dans le bhakti-yoga (le service de dévotion). Les chapitre sept à douze, qui composent la partie centrale de la Gîtâ, traitent surtout de Krishna Lui-même (Purusottama, « la Divine Personne Suprême ») et de la relation éternelle entre les jîvas et Lui, fondée sur le bhakti-yoga.
Le septième chapitre traite de la connaissance de Krishna, la façon d’acquérir ce savoir et le résultat final d’une telle acquisition. Les trois premiers versets servent de prélude où Krishna dit en essence : « La dévotion apporte la pleine connaissance de Ma Personne. Dans sa totalité, Je te révélerai la connaissance du matériel et du spirituel, bien qu’il soit rare de Me connaître en vérité. » Krishna commence par définir Ses deux principales énergies : l’énergie « inférieure » (la matière ou aparâ prakriti), formée de huit éléments, et Son énergie « supérieure » (l’énergie spirituelle ou parâ prakriti), composée des jîvas maintenant empêtrés dans la matière (4-5). Il est « l’origine et la dissolution » des deux énergies, la Vérité Suprême (6-7). Krishna décrit ensuite comment Il Se manifeste dans tout phénomène : Il est « la saveur de l’eau, la lumière du soleil et de la lune... l’intelligence de l’intelligent »... (8-12) Il existe quatre ordres de vertueux qui s’abandonnent à Lui et quatre sortes d’athées qui n’en font rien (15-18). Les sages, sachant qu’Il est tout ainsi que la cause suprême, s’en remettent à Lui (19). Les sots (matérialistes), par contre, se vouent aux dévas en vue de bienfaits immédiats, mais limités et éphémères (20-23). Sans intelligence aussi sont ceux qui considèrent la forme personnelle de Krishna comme étant matérielle, forme qui – voilée par yoga-mâyâ, Sa puissance personnelle – ne leur est jamais visible (24-26). Dans les quatre derniers versets, Krishna conclut que les êtres vertueux et intelligents, aspirant à l’affranchissement des chaînes de la matière, cherchent refuge en Lui par le service de dévotion, sachant qu’Il est le Seigneur Suprême. Ces personnes, dit Krishna, « peuvent, le mental fixe, même à l’instant de mourir, Me saisir et Me connaître. » (27-30)
- Chapitre 8
Ce huitième chapitre de la Gîtâ traite presque exclusivement de l’instant de la mort – l’heure où le jîva quitte son corps matériel. Au début du chapitre, Arjuna pose sept questions à Krishna : « Qu’est-ce que le Brahman ? Qu’est-ce que le soi, l’âtmâ ? Qu’est-ce que le karma ? Que faut-il entendre par la manifestation matérielle, et que sont les dévas ? O mon Seigneur, ô Personne Suprême, dis-le moi, je T’en prie. Où, et comment, vit-Il dans le corps, le maître du sacrifice, ô Madhusûdan ? Et comment, au moment de la mort, celui qui Te sert avec amour Te connaîtra-t-il ? » (1-2) Krishna répond brièvement (3-4), car Il a déja abordé ces thèmes de façon détaillée. Sa réponse à la dernière question, toutefois, s’étend jusqu’à la fin du chapitre.
Krishna informe Arjuna que quiconque, à l’instant même de quitter le corps, se souvient de Lui, atteint Sa demeure (5). La qualité de notre conscience au trépas détermine notre prochaine destination (6). Le contenu de nos pensées et souvenirs à l’heure de la mort étant influencés, à leur tour, par nos actes et notre conscience en cette vie, Krishna conseille à Arjuna de toujours penser à Lui, même alors qu’il accomplit ses devoirs d’état (7-8). Cette méditation constante donne d’atteindre Krishna après avoir quitté le corps. Au verset neuf, Krishna dévoile comment pratiquer cette méditation. Les quatre versets suivants (10-13) décrivent la voie difficile de l’astânga-yoga en vue d’une promotion aux planètes spirituelles. Krishna conclut alors que la dévotion indéfectible (bhakti-yoga) permet de L’atteindre sans peine (14). Quand il atteint le royaume spirituel, le bhakti-yogi ne revient jamais plus en ce monde, où règne la souffrance (15-16). Au-delà de l’Univers matériel, soumis à un cycle de création et de destruction perpétuel, se trouve le monde spirituel – séjour éternel et suprême de Krishna –; pour qui l’atteint, point de retour (17-21). C’est par la dévotion pure, Krishna le répète, qu’on atteint cette destination suprême (22). Le Seigneur décrit ensuite les moments propices et non propices pour le yogi qui quitte ce monde, selon qu’il aspire aux planètes célestes ou à la libération. Le bhakti-yogi demeure cependant indifférent à de telles considérations (23-27). En conclusion, Krishna déclare que Son dévot, le bhakti-yogi, n’est en rien privé des fruits d’autres voies d’évolution spirituelle. À l’instant de la mort, il – ou elle – rejoint Krishna en Son royaume absolu (28).